Blade Runner, Pluto… Le réalisateur de Mars Express revient sur les inspirations de son film d’animation novateur
Pépite d’animation française mêlant science-fiction et film noir, Mars Express est à découvrir en salle dès aujourd’hui. Avant d’embarquer pour une odyssée spatiale inoubliable, faites connaissance avec votre pilote, le réalisateur Jérémie Périn.
Un OVNI à la croisée des genres
Sur une planète Mars colonisée par l’humanité, la détective Aline Ruby, incarnée par Léa Drucker, recherche une jeune étudiante en cybernétique disparue. Sa progression dans cette affaire peu commune l’entraîne dans une spirale infernale et sordide dont l’issue pourrait bouleverser le sort de la galaxie tout entière…
Mars Express
Sortie :
22 novembre 2023
|
1h 25min
De
Jérémie Périn
Avec
Léa Drucker,
Mathieu Amalric,
Daniel Njo Lobé
Presse
3,9
Spectateurs
4,0
Séances (237)
Disparitions inexplicables, courses-poursuites haletantes, duels d’androïdes… Création française hybride, Mars Express se place à mi-chemin entre la science-fiction d’avant-garde et le film (très) noir. Présentée aux festivals de Cannes et d’Annecy, cette pépite d’animation se distingue par sa position au croisement des genres et son style visuel original rappelant les meilleurs romans graphiques d’anticipation.
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De ses inspirations au rôle des intelligences artificielles (IA) dans l’art, le réalisateur Jérémie Périn s’est livré sur son projet au micro d’AlloCiné. Alors avant d’embarquer pour un voyage inoubliable à destination de l’espace (et du futur), votre commandant de bord vous détaille le programme et vous livre tous les secrets de Mars Express !
AlloCiné : Quel a été votre point de départ pour imaginer Mars Express ?
Jérémie Périn : Ça été une envie, née d’un manque, au moment où on écrit le film, de science-fiction plus pragmatique. On est entourés de SF dans le paysage cinématographique, mais il s’agit de SF fantastique, voire magique, où la métaphore compte plus que la science. J’aime ça, mais il nous manquait à Laurent Sarfati (le co-scénariste) et moi une SF un peu plus crédible.
Il nous fallait un scénario, évidemment, un univers aussi. À ce moment-là étaient déjà d’actualité les utopies et fantasmes des milliardaires de la tech’ voulant vivre dans l’espace pour échapper au réchauffement climatique et aux futures guerres, ce qui nous a aussi inspiré.
Quelle place avez-vous eu dans le choix des interprètes ? Quelles étapes de travail avez-vous mises en place pour donner vie, ensemble, aux personnages que vous aviez créés ?
Jérémie Périn : En fait, il n’y en a pas vraiment eu ! J’aime amener dans l’animation des gens qui n’y ont pas encore d’habitudes de travail. Il y avait un désir de la part du producteur, Didier Creste, d’avoir des têtes d’affiche, ce qui ne me posait pas de problème du moment que l’on trouvait les bonnes têtes d’affiche. Il me fallait seulement des comédiens dont la voix est porteuse de charisme, permettant de reconnaître au simple son les personnages.
J’avais trouvé Léa Drucker impressionnante dans Jusqu’à la garde, mais elle est aussi douée dans le registre de la comédie. J’ai pensé que ce spectre hyper large était parfait pour Aline. Mathieu Amalric avait déjà joué les méchants, donc ça me faisait marrer, surtout que c’est un grand acteur avec une voix particulière et intéressante.
C’est un travail d’acteur très différent, où le corps est supprimé et toutes les attentions sont tournées vers la voix. C’est une autre manière d’appréhender le travail et tout se fait très vite. J’ai parlé avec eux des personnages au téléphone, mais l’enregistrement s’est fait tout de suite après. Dans une situation de création de voix comme celle-ci, on a besoin des voix en amont de l’animation pour permettre le lip-sync, le mouvement synchronisé des lèvres sur les labiales.
Pourquoi avoir choisi de mêler film noir et science-fiction ? Pourquoi ces deux genres cinématographiques se marient-ils selon vous aussi bien ?
Jérémie Périn : Les détectives sont très présents à la télévision, où il y a beaucoup de séries d’enquête. Si ce mariage fonctionne, c’est parce que dans un film de science-fiction comme dans film noir, c’est la recherche de la vérité qui rentre en résonnance. Les spectateurs cherchent à comprendre l’univers de science-fiction tandis que les personnages cherchent à découvrir la vérité cachée derrière un crime.
Nous avons misé à fond sur cette sorte d’emboîtement, puisque les technologies et rapports sociaux du monde futuriste de Mars Express ne sont pas expliqués par le dialogue. Les spectateurs doivent les analyser, les décrypter par indices, et s’interrogent donc sur le monde qu’ils découvrent tandis que l’enquête se déroule.
Ce monde futuriste est rempli de détails et de technologies. Comment les avez-vous imaginés ?
Jérémie Périn : Nous avons rencontré des spécialistes, des programmeurs, des planétologues… Un designer automobile a participé au film en modélisant intégralement avec ses équipes le véhicule utilisé par Aline et son partenaire, Carlos (Daniel Njo Lobé). Ils en ont réalisé des versions en 3D réalistes et il était même question d’en faire une sculpture en taille réelle, on était comme des fous, même si ça n’est jamais arrivé !
On s’est entourés de gens qui avaient une meilleure expertise que nous et qui pouvaient nous donner des idées. Si on ne les avait pas rencontrés, nous aurions sans doute eu le réflexe de faire comme dans les autres films, de reprendre des choses déjà vues. Ces discussions nous ont nourri sur la manière d’utiliser ces objets.
Quelles ont été vos inspirations ? Il y a dans Mars Express beaucoup de références à Blade Runner, mais aussi à l’animation japonaise (Ghost in the Shell, Pluto). Est-ce un univers dont vous vous sentez proche ?
Jérémie Périn : Bien sûr ! J’ai baigné là-dedans, j’y baigne encore même si j’ai moins le temps. J’ai récemment commencé Pluto, que Mars Express rejoint sur plusieurs thématiques. Nous avons les mêmes références, ce sont des sujets abordés par la SF depuis longtemps et qui résonnent encore aujourd’hui.
Quel est votre film d’animation favori ? Pensez-vous qu’il vous ait inspiré pour Mars Express ?
Jérémie Périn : Il y a plusieurs films que j’aime revoir régulièrement : Ninja Scroll, Patlabor, Cyber City Oedo 808… Ces films sont le résultat d’une époque, donc certains ont mal vieilli, mais je garde une tendresse pour eux aujourd’hui. Plus récemment, j’ai été marqué par la série Tengoku Daimakyo, dont le registre “young adult” post-apocalyptique renouvelle le genre.
Akira et Moebius ont, indirectement, marqué mon travail par leur style réaliste mais très épuré. C’est le cas aussi de tous les “enfants” de cette cinématographie-là : Memories, les films de Satoshi Kon… J’aime ces animateurs et réalisateurs qui ont travaillé le photoréalisme stylisé, cette volonté utopique de toucher au réel sans jamais y arriver, mais qui laisse malgré tout une impression de réel.
L’animation est parfois considérée comme un genre destiné à la jeunesse. Souhaitez-vous défendre, avec Mars Express, un cinéma d’animation destiné avant tout aux adultes ?
Jérémie Périn : Complètement, c’est toute l’intention. Des films d’animation français plus adultes existent déjà, on peut penser par exemple à Persepolis ou J’ai perdu mon corps, mais je voulais ajouter à ça les spécificités d’un film de genre, ici de SF. L’animation pour adulte est souvent acceptée lorsqu’elle est historique, sociale ou politique. Tout cela est très bien, mais je pense que le spectre peut être élargi en y apportant de l’aventure, de l’horreur ou de la SF, par exemple.
Une grande place est laissée aux androïdes et aux intelligences artificielles dans votre film. Que pensez-vous de leur utilisation, notamment dans l’animation ? Pensez-vous qu’ils soient utiles, ou au contraire dangereux pour les artistes ?
Jérémie Périn : Je suis dans un entre-deux ! Je pense que l’erreur serait d’en avoir juste peur. Maintenant qu’elles existent, les IA doivent être travaillées pour voir ce qu’on peut en faire. Elles peuvent devenir utilitaires, pratiques. L’idée pourrait être d’avoir une IA déconnectée d’Internet, qui ne pillerait pas le travail des uns et des autres, mais qui serait fermée et serait nourrie uniquement du travail de son utilisateur pour lui faire gagner du temps.
Mais le temps gagné pourrait être un motif pour resserrer les budgets et les délais de création, ce qui pressuriserait les équipes de production… C’est un débat compliqué !
Mars Express, de Jérémie Périn, est à découvrir dès aujourd’hui au cinéma.