À voir au cinéma : Moi capitaine de Matteo Garrone est-il inspiré d’une histoire vraie ?
Moi capitaine, nouveau film de Matteo Garrone, réalisateur de Gomorra, a débarqué en salles le 3 janvier. AlloCiné a rencontré le cinéaste italien de 55 ans.
Sorti au cinéma le 3 janvier, Moi capitaine suit Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans. Ils décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
Pour évoquer cette oeuvre poignante, AlloCiné a rencontré son metteur en scène, Matteo Garrone, 55 ans. On lui doit notamment des oeuvres acclamées comme Gomorra, Tale of Tales, Dogman ou Pinocchio.
À noter que Moi capitaine a obtenu le Lion d’argent du meilleur réalisateur à la Mostra de Venise 2023, ainsi que le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir pour Seydou Sarr à cette même cérémonie.
Moi capitaine
Sortie :
3 janvier 2024
|
2h 02min
De
Matteo Garrone
Avec
Seydou Sarr,
Moustapha Fall,
Issaka Sawadogo
Presse
3,0
Spectateurs
3,6
Séances (394)
AlloCiné : Après Pinocchio, vous changez totalement de registre avec Moi Capitaine, pourquoi avez-vous eu envie de raconter cette histoire ?
Matteo Garrone : Selon moi, ce film a aussi la composante d’une fable homérique et d’un conte initiatique. Il y a beaucoup de points communs avec Pinocchio. Je me suis rendu compte de cette proximité en tournant le film. Le personnage est incité par le grillon à partir de son foyer, il quitte sa maison et sa famille en cachette et va rencontrer la violence du monde.
Il y a aussi l’approche très réaliste, presque documentaire, qu’on avait dans Gomorra. Ce qui m’a poussé à faire ce film, c’est mettre en images une partie du voyage que l’on ne voit pas habituellement. Généralement, on voit le bateau qui arrive sur les côtes italiennes. Avant, on ne sait pas tout ce qui se passe. Je voulais partir de leur point de vue pour que le spectateur puisse vivre cette histoire avec eux.
Malgré son histoire très réaliste, Moi capitaine n’est pas tiré d’une histoire vraie précise, le film est le tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. Ce qui est intéressant dans le parcours de Seydou et Moussa, c’est qu’ils ne fuient pas la guerre ou les persécutions ; la mère de Seydou ne veut d’ailleurs pas qu’ils risquent leur vie pour aller en Europe. Pourquoi avoir choisi ce parti-pris ?
Ce qui motive ces jeunes, c’est le désir de liberté et d’une vie meilleure, c’est central dans l’histoire. Pour nous, voyager paraît simple, les jeunes peuvent aller partout dans le monde, mais pour les jeunes de là-bas, c’est un possible voyage vers la mort. Cette injustice n’est jamais racontée et ce droit de s’échapper n’est pas réservé uniquement à ceux qui veulent fuir la guerre.
Quand on est jeune, on a le désir de connaître le monde, de meilleures opportunités, de pouvoir aider sa famille. Aujourd’hui, mes enfants ont envie de partir ailleurs ; à leur âge, j’ai aussi eu envie de connaître le monde. C’est quelque chose de l’ordre du droit humain. Seydou combat contre ce système de fermeture et de mort, il a ce désir de vie et de nouvelles connaissances.
Le film montre avec beaucoup de réalisme les atrocités subies par les migrants pendant le voyage, entre les passeurs violents et les terroristes. Vous aviez décidé dès le départ de ne pas nous épargner toute cette violence à l’image ?
C’est tout le contraire en fait, on a épargné le spectateur de la violence car la réalité est encore plus brutale que ce qu’on a pu montrer ! J’ai décidé de montrer cette violence uniquement à travers le regard et le point de vue de Seydou sans la volonté de heurter le public.
Comment avez-vous trouvé ce jeune comédien, Seydou Sarr, et pourquoi l’avez-vous choisi ?
Je l’ai trouvé grâce à un processus de castings et j’ai adoré sa spontanéité, son naturel, sa douceur. J’ai vu qu’il pouvait donner au personnage une grande intensité, quelque chose de très humain, profond et spirituel.
J’insiste sur ce mot car il a interprété Seydou en lui donnant une dimension qui a trait à la Foi et à l’innocence et c’est la grande force du film. Il permet aux spectateurs d’entrer en empathie avec le personnage et de vivre avec lui. C’est la force du cinéma de pouvoir transmettre des émotions afin que le public puisse s’identifier au héros.
Peut-on rapprocher ce film de Gomorra, avec le portrait des réseaux de passeurs qui agissent comme des mafias en Afrique ?
On peut rapprocher Moi capitaine de Gomorra car il raconte également une enfance violée à travers de jeunes personnages appartenant à un monde violent. Dans Gomorra, ils appartiennent à un univers, celui de la criminalité, dont ils sont aussi les victimes. Ils se rendent compte trop tard des dangers qui les attendent en entrant dans ce monde. Cependant, le lien entre les deux films s’arrête ici.
En effet, dans Moi capitaine, ce sont des trafiquants d’êtres humains sans scrupules qui abusent d’une situation pour se faire de l’argent. Dans Gomorra, l’idée était de montrer le côté humain dans un système de violence ; dans Moi capitaine, les trafiquants sont des figures parasitaires, très négatives et profondément racistes.
La différence, c’est aussi que Seydou est un héros sans part sombre, il combat pour la liberté alors que les autres font partie d’un système criminel. Néanmoins, même les héros ont une part d’inconscience dans les combats qu’ils mènent.
Comment s’est déroulé le tournage en Afrique ? Avez-vous subi des pressions de la part des autorités ou des passeurs par rapport au thème du film ?
Je n’ai subi aucun pression ; la difficulté principale était de faire un film sur une culture qui n’était pas la mienne. La seule solution pour le faire, c’était de le faire avec eux, avec des personnes qui venaient de ce monde. Il fallait les voir, les écouter, dialoguer avec eux et surtout de bâtir un rapport de confiance mutuelle.
L’autre difficulté était de diriger des acteurs avec lesquels on ne parle pas la même langue. Il a fallu que j’apprenne à bien comprendre si leur interprétation était vraiment juste. Il y a aussi des séquences d’action très compliquées, dangereuses, c’est une difficulté supplémentaire qui est aussi très enrichissante au moment du tournage.
En 2018, vous évoquiez Gomorra, Dogman ou Tale of Tales en parlant de “contes de fées sombres” ; est-ce que Moi Capitaine s’inscrit dans votre envie de raconter une nouvelle fois un “conte sombre” sur une autre facette peu glorieuse de l’Humanité ?
Absolument ; cependant, je parlerais plutôt ici de “fable homérique”. Ces jeunes-là sont vraiment les porte-étendards de l’épopée contemporaine.
Pouvez-nous nous parler de votre prochain projet ?
Je n’ai pas de nouveau projet sur le feu, je suis très occupé par la campagne des Oscars de Moi capitaine, j’espère qu’elle permettra à de nombreuses personnes de découvrir le film.