“C’est dans les jeux vidéo que les amateurs de science-fiction viennent chercher l’originalité” : entretien exclusif avec Gary Whitta, scénariste de Rogue One

Ancien journaliste jeux vidéo, auteur de comics, romans, éditeur, scénariste pour le cinéma dont le formidable "Star Wars Rogue One", Gary Whitta est un véritable touche-à-tout. Entretien exclusif avec un talent qui semble déjà avoir eu mille vies.

Ancien journaliste chroniqueur de jeux vidéo; Designer chez Microsoft, Electronic Arts, Activision, Midway Games; chargé du développement narratif de l’adaptation en jeu vidéo de la série télévisée The Walking Dead; auteur de comics et romans; éditeur; scénariste du film de SF post-apo Le Livre d’Eli, After Earth et surtout du formidable spin off de la saga Star Wars, Rogue One, qui rapportera 1,05 milliards de dollars à Disney / Lucasfilm… Gary Whitta, 51 ans, est un véritable touche-à-tout. Et semble déjà avoir eu mille vies.

Nous avons eu l’opportunité de nous entretenir avec lui pour retracer sensiblement son parcours étonnant, évoquer sa passion des jeux vidéo, ou la réelle capacité de certaines franchises vidéoludiques à surpasser voire déboulonner la suprématie des licences Marvel ou Star Wars, à l’heure où l’on parle, depuis un moment déjà, de super-héros fatigue et de surproduction autour de l’univers créé par George Lucas.

De nombreux cinéphiles vous connaissent grâce à votre travail de scénariste sur “Le Livre d’Eli”, “After Earth” et “Rogue One : A Star Wars Story”. Très peu de gens savent en réalité que vous avez débuté votre carrière en tant que journaliste spécialisé dans les jeux vidéo. Pouvez-vous en parler, parler de votre lien personnel avec lui ?

Gary Whitta : Quand j’étais enfant, j’avais pour principales passions le cinéma et les jeux vidéo, et j’ai toujours rêvé de poursuivre l’un de ces intérêts professionnellement. Au début, j’aimais l’idée de créer des jeux, mais j’ai vite réalisé que je n’avais pas les aptitudes techniques pour cela.

J’ai donc décidé d’écrire sur les jeux parce que l’écriture était une chose pour laquelle j’étais doué. J’ai donc obtenu mon premier emploi en faisant des reviews sur les jeux Commodore 64 et Amiga pour un magazine, puis je suis devenu rédacteur en chef de PC Gamer. Même si je n’ai pas travaillé à plein temps dans l’industrie du jeu vidéo depuis plus de 20 ans, je suis toujours un passionné de jeux vidéo, avec un intérêt particulier pour la narration dans les jeux.

Comment et quand avez-vous évolué, du statut de journaliste à celui de travailler directement pour des sociétés comme Microsoft, en travaillant sur des jeux comme Gears of War ? C’était une transition évidente ou naturelle pour vous ?

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Lorsque j’ai décidé de passer du journalisme de jeux vidéo à l’écriture de scénarios, écrire pour des jeux semblait être effectivement une voie naturelle, et le moment était venu car c’était à peu près à l’époque où les développeurs de jeux vidéo commençaient enfin à prendre la narration au sérieux, et recherchaient des écrivains extérieurs avec qui collaborer.

Tant qu’à évoquer Microsoft, qui a racheté l’éditeur Bethesda, avez-vous joué à Starfield ?

J’ai vraiment aimé jouer à Starfield, et je pense d’ailleurs que c’est un bon exemple de la façon dont la narration dans les jeux peut tenter d’être plus ambitieuse que dans des médias plus linéaires comme le cinéma et la télévision, car vous pouvez raconter une histoire à travers un canevas très vaste qui peut être vécu au fil du temps, au cours de centaines d’heures en fait, et aucune expérience d’histoire n’est identique.

Les scénaristes comme vous, qui peuvent facilement passer d’un secteur à l’autre, du cinéma aux jeux vidéo, ne sont pas si courants. Il n’y a pas beaucoup d’exemples. Alex Garland en fait partie, ou par exemple Halley Wegryn Gross, qui possède une solide expérience dans l’écriture télévisée et a collaboré avec Neil Druckmann sur l’histoire de The Last of Us Part II. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

Je pense qu’il s’agit d’un chevauchement très naturel, d’autant plus que la nouvelle génération de scénaristes et de cinéastes est beaucoup plus à l’aise et réceptive aux jeux vidéo, parce qu’ils font bien plus partie de la culture mainstream aujourd’hui que par le passé. Et les jeux vidéo sont désormais beaucoup plus axés sur l’histoire et la création d’une expérience cinématographique que par le passé, de sorte que les compétences créatives deviennent de plus en plus courantes entre les deux.

En parlant d’écriture de scripts, vous avez travaillé sur Rogue One, considéré comme l’un des spin-off les plus fantastiques de la saga Star Wars, si ce n’est le meilleur. Quels éventuels enseignements de vos précédents emplois dans l’industrie du jeu vidéo se sont avérés bénéfiques pour ce projet ? Pouvez-vous nous dire comment vous avez obtenu l’opportunité de travailler pour Lucasfilm ?

Je ne pense pas que mon expérience dans le jeu vidéo m’a aidé à me préparer à travailler sur Star Wars, mais ma vie en tant que fan de Star Wars l’a certainement fait. Je pense que ma capacité à parler avec passion et avec cœur de mon amour pour cet univers m’a aidé à décrocher le poste, mais dans une certaine mesure, j’ai eu de la chance parce que mon pitch pour Rogue One s’est avéré correspondre à ce que certaines des personnes créatives clés chez Lucasfilm avait déjà en tête pour la direction du projet.

Star Wars et Marvel sont d’énormes franchises qui semblent indéboulonnables ; profondément ancrées dans la culture Pop. D’un autre côté, les jeux vidéo regorgent d’univers incroyables, avec une narration très profonde, des histoires fortes et des approches visuelles parfois époustouflantes. Pensez-vous que les jeux vidéo sont devenus le principal vecteur pour proposer des histoires de science-fiction originales à un large public, dépassant les films, la télévision ou les franchises existantes ?

Alors qu’Hollywood s’engage plus que jamais à exploiter les franchises de science-fiction existantes, parfois jusqu’à l’épuisement créatif et la lassitude du public, je pense que les jeux vidéo sont de plus en plus la destination de ceux qui recherchent des histoires de science-fiction plus originales, avec des idées innovantes, impliquant de plus grands degrés de risques créatifs et d’expérimentations.

Des jeux comme Citizen Sleeper, Disco Elysium et Jusant sont tous d’excellents exemples de construction d’un monde et de narration de science-fiction audacieuse et originale qui seraient extrêmement difficiles à réaliser dans le système hollywoodien en raison de l’aversion pour le risque et de son manque de volonté d’essayer de nouvelles choses.

Il y a une dizaine d’années, j’avais rencontré Neill Blomkamp, qui m’avait dit ceci : “De plus en plus de jeunes se plongent dans les jeux vidéo. Le cinéma évoluera comme les livres. Avant, presque tous les enfants lisaient des livres. Et cela s’est progressivement transformé en “tous les enfants regardent la télévision et des films”. Il y a encore des enfants qui lisent des livres, mais peut-être pas autant. Le cinéma pourrait disparaître dans la même mesure, remplacé par les jeux vidéo. La question est : comment le style visuel et narratif des films se retrouvera-t-il dans les jeux ?” Qu’en pensez-vous ?

Dans une certaine mesure, bon nombre des techniques de narration visuelle et du langage du cinéma sont déjà extrêmement visibles dans les jeux vidéo, et je pense que cela ne fera qu’augmenter à mesure que les créateurs de jeux développeront une meilleure compréhension des techniques qui peuvent être transportées avec succès d’un média à l’autre.

L’astuce consiste à développer cette compréhension de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi. Le public ne veut pas de “films interactifs” – nous avons essayé cela dans les années 90, et cela n’a pas fonctionné – il veut des jeux vidéo avec des histoires riches et immersives.

Dernière question : à quoi jouez-vous en ce moment ? Quel est votre jeux vidéo préféré ?

Mes jeux les plus joués en 2023 ont été Diabo IV, Spider-Man 2, Party Animals, Vampire Survivors et Balder’s Gate III. Je n’ai pas de jeu préféré de tous les temps, car c’est beaucoup trop difficile d’en choisir un seul !